03/05/2010
La genèse de l'illustration : secrets et chuchotis
Pour répondre au commentaire de Oph sur l'illustration, voilà comment se sont passées les choses dans les grandes lignes.
Pour bien mettre les choses au clair, je rappelle que le contrat entre l'auteur et l'éditeur ne porte que sur le texte. La couverture fait partie du domaine réservé de l'éditeur. Les juristes qui en auront le temps pourront rétorquer que l'auteur peut quand même protester si la couverture porte atteinte à son image (si on le fait passer pour un nazi ou un violeur ou je ne sais quoi) mais en dehors de ce cas extrême et rarissime, il n'a qu'à fermer sa g... sa petite bouche flûtée.
Ma directrice d'ouvrage (loué soit son nom) est très disponible et je peux discuter de tous les sujets avec elle. Très vite, nous avons donc fatalement abordé le sujet de l'illustration. Elle m'a assuré qu'elle me laisserait donner mon avis et que c'était un travail à 3. Par exemple, je ne voulais pas que Jéhanne tienne une arme à la main, parce que zut, ce n'est pas une guerrière. Elle m'a répondu que dans ce cas, il n'y en aurait pas.
Cependant, il y avait des contraintes :
1) Mnémos s'est doté d'une charte graphique, qui, depuis peu, impose qu'un personnage soit impérativement placé au premier plan. Cela était non négociable.
2) Puis Mnémos a choisi Julien Delval pour la couverture de La Pucelle et cela n'était pas non plus négociable. Il ne m'est pas venu une seconde à l'idée de le négocier d'ailleurs : Julien Delval, c'était une sacrée chance pour moi.
3) Le roman est classé en « fantasy » et ma directrice d'ouvrage (le destin l'ait en sa garde) voulait lui donner une image susceptible de séduire à la fois un public « mainstream » -amateur du genre- et un public exigeant -peu amateur de fantasy ou demandant plus d'originalité. La couverture devait donc refléter ces deux aspects. Hum, simple, non ?
Bon.
Plusieurs semaines se sont passées sans nouvelles particulières. Puis j'ai reçu un mail de ma directrice d'ouvrage (bénie soit sa descendance sur sept générations) avec un premier crayonné. Elle me demandait ce que j'en pensais et j'avais à peu près 24 heures pour me prononcer. J'étais ravi qu'on me demande mon avis (merci, ô ma directrice d'ouvrage adorée !). Apparemment, Julien Delval n'avait pas eu d'instructions particulières pour la scène qu'il allait illustrer, il a donc choisi le décor et la posture du personnage.
Je n'ai pas commenté l'aspect technique du dessin car je n'ai aucune compétence en la matière et tout cela me paraissait très bon. En revanche, je connaissais bien mon roman et j'ai pointé deux ou trois éléments qui ne convenaient pas, selon moi : j'ai demandé à remplacer la poignée de l'épée par une poignée de sabre, et surtout à ce que la scène se passe de nuit, car l'action prend place dans une ville dont le soleil a disparu. J'ai aussi suggéré qu'on ôte l'armure -mais là, on m'a dit que j'abusais et que ça devait rester « mainstream ».
Ma directrice d'ouvrage (je l'aime, je l'ai déjà dit ?), quant à elle, trouvait que le visage de Jéhanne était trop « moderne » et lui préférait une image de « madone ». Je l'ai approuvée sur ce point, d'autant que je trouvais que le personnage était trop proche de Jeanne d'Arc.
Notez que j'ai discuté et négocié chaque point avec ma directrice d'ouvrage (bénie soit-elle, euh, j'en fais trop, là ?) mais jamais avec l'illustrateur lui-même.
Le résultat, comme vous le voyez, est un mélange de nos trois visions du roman exécuté par la main de l'artiste. Attention, cette négociation avec l'auteur n'est pas forcément une règle dans le milieu. Au salon du livre, Julien Delval a été interviewé par un journaliste et on lui a posé la question fatale : quelle part prend généralement l'auteur dans la création de la couverture d'un roman ? La réponse fut sans appel : elle est nulle. C'est un dialogue entre l'éditeur et l'illustrateur, point.
Franchement... j'ai eu de la chance.
21:16 Publié dans Beorn dans le monde magique de l'édition | Lien permanent | Commentaires (7)
Le "crayonné" initial de la couverture
21:13 Publié dans Beorn dans le monde magique de l'édition | Lien permanent | Commentaires (0)